L'Odyssée de Pi - Ang Lee

J'ai adoré la relation entre Richard Parker et Pi, j'avais peur qu'elle aille de soit, que le tigre adopte tout de suite le garçon, mais la plupart du temps, il essaye de le bouffer. C'est flippant, mais réaliste à souhait. J'adore! Ce qui est terrible, c'est que parfois Pi doit jongler entre se jeter à l'eau et se faire béqueter par les requins ou rester à bord et se faire boulotter par le tigre... De quoi tourner cinglé... A coté de ça, on souffre aussi pour la pauvre bête, qui ne dot pas comprendre grand chose à son aventure et qui doit être terrorisée... J'en ai presque pleuré quand il se retrouve coincé dans l'eau... Et je ne parle même pas du moment où il est mourant, avant d'arriver sur l'île...
Le courage et la volonté de Pi dépassent l'entendement, et tout ça en refusant la mort de Richard, qui lui faciliterait pourtant sacrément la vie...
Les images sont tout juste sublimes, le passage du plancton, de la baleine, de l'île, des poissons, des tempêtes... on est franchement dans le surréalisme, mais quel pied visuel!
Venons-en à l'île cannibale... Pas évident de comprendre ce passage, jusqu'ici, c'était étrange, mais réaliste, et là on bascule dans le fantastique... ça m'a franchement perturbée.. Finalement, est-on dans un rêve? un délire? Pi invente t-il son récit?... Bizarre...
La fin de l'histoire racontée est déchirante, la séparation de PI et de Richard... trop triste... ça m'a rappelé Seul au monde, quand Chuck perd Wilson... Là aussi, j'avais pleuré lol
Et là... c'est le drame, le second récit... J'aurais tellement préféré rester sur le premier... Forcément, le second est hyper réaliste et on se dit que c'est le vrai, que le premier n'est qu'une métaphore, un peu comme la bible ou les récit religieux. D'ailleurs, quand l'écrivain lui dit qu'il préfère le premier récit, le merveilleux, Pi répond que Dieux aussi... Et il semble que même les japonais de l'assurance aient préféré le premier puisque c'est celui qui apparait dans le rapport... Alors, oui, on a le droit de choisir le récit que l'on préfère, et vu l'horreur du second, on prend forcément le premier, mais maintenant que je connais la vérité, le premier n'est plus qu'une image, un conte inventé, il a perdu toute sa puissance... J'étais vraiment dégoutée...

Alors j'ai décidé de faire un peu des recherches pour comprendre les métaphores du premier récit...
La suite n'est que mon interprétation, ce que j'ai compris de l'histoire, mais ça n'a rien d’exhaustif!!
Bon, évidemment, les personnages sont clairement définis: Le cuistot est la hyène, la mère est le singe et le bouddhiste est le zèbre. Richard est le reflet violent de Pi, il sort quand la hyène dépasse les bornes et la tue. Il va ensuite passer toute son Odyssée à apprivoiser sa part des ténèbres et apprendre à vivre avec pour survivre en faisant des choses qu'il n'aurait jamais faites sinon... Et arrivé sur terre, il redevient le pacifiste qu'il était.
Le pire, c'est le cannibalisme sous entendu par le second récit... et montré dans le premier. La hyène-cuistot mange le zèbre-matelot et le singe-maman... Pi-tigre mange le cuistot... il le dit d'ailleurs dans son récit... "J'ai fait au cuistot ce qu'il avait fait au matelot..."  On comprend qu'il ait eu besoin de la métaphore du tigre pour pouvoir supporter ça, après ce qu'il avait subit et quand on sait qu'il était végétarien jusqu'à présent...
J'avais du mal à "avaler" cette histoire de cannibalisme jusqu'à ce que je découvre que Richard Parker est le nom d'un matelot mutin d'un bouquin de Poe, qui a poussé l'équipage au cannibalisme, à bord d'un navire nommé... "Le Tigre".... Difficile d'ignorer le clin d'oeil. Je me demande même si on ne voit pas Pi au début du film lire ce même roman...
Par ailleurs, le nom originel du tigre est "soiffard", "Thirsty" en anglais. Et la première fois que Pi entre dans une église, le prêtre lui demande "Are you thirsty?" et Pi répond "oui". Littéralement: "Es-tu soiffard? oui"... Bon, un peu tiré par les cheveux, mais ça irait encore dans le sens de la double personnalité Pi-Richard...
La métaphore qui m'échappe un peu, c'est l'île... On voit clairement quand il s'en va qu'il s'agit d'un corps féminin allongé. Alors plusieurs théories s'offrent: La première, que je n'aime pas du tout, soit dit en passant... Il pourrait s'agir du corps de sa mère, en putréfaction (les suricates quand ils se dressent tous d'un coup ressemblent à des vers...) que Pi a du se décider à manger... Après tout il était mourant, et tout d'un coup voilà ce cadeau providentiel de nourriture qui tombe du ciel... et cette dent qu'il trouve lui fait prendre conscience de l'horreur du cannibalisme, il renonce et s'enfuit... Ce qui me fait penser que cette version pourrait être bonne est le fait qu'en partant il attache le cordon offert par sa chérie à l'île... comme un cadeau d'adieu... Je ne vois pas pourquoi il aurait fait ça si il n'y avait pas un attachement très fort avec elle...
Mais je n'aime pas beaucoup cette version... en plus, il dit que le cuistot a jeté à l'eau de les restes du corps de sa mère... Je ne le voit pas trop le repêcher alors qu'il  le cuistot à manger... et il dit que les requins l'ont mangée... Je préfère me dire que cette version n'est pas la bonne...
La seconde version, c'est que l'île pourrait représenter Vishnou, dieu indou souvent représenté allongé, et qui représente, il me semble, la création, le renouvellement... Ce que l'île accompli toutes les nuits... J'aime bien cette version!

Par contre, je suis assez d'accord avec la théorie de l'île-Vishnu, ça correspond assez bien à l'état d'esprit du personnage, mais aussi avec son parcours : il échoue sur cette île au moment où il sent l'inéluctabilité de la mort lui tomber dessus et il est presque "logique" qu'il rencontre la divinité aux portes de la mort. A partir du moment où le bateau coule, Pi commence à suivre un chemin, un parcours initiatique qui le mènera par toutes les phases de l'existence et de la foi, et finalement, jusqu'à l'élévation spirituelle ultime : cette île est l'ultime étape de ce parcours et c'est grâce à ce regain de foi et de force intérieure renouvelée, qu'il pourra repartir jusqu'à son retour sur la terre ferme. Un corps féminin censée représenter le cycle de la vie et de la mort, la terre, l'eau, la digestion et l'image de la nourriture spirituelle permettant de prendre un nouvel essor ; je trouve ça finalement assez raccord.