J'adooore l'ambiance que SK réussit à poser sur Duma Key, lieu au charme tropical pourtant infecté par un mal insidieux et vénéneux. Faire cohabiter horreur latente et cadre paradisiaque n'est pas chose aisée, et pourtant, presque dès le début, on sent que qqchose ne tourne pas rond sur cette île de rêve...
Certes, ce n'est pas aussi prégnant que le TR de
Sac d'Os, mais je crois que le facteur dépaysant de Duma Key lui donne aussi un certain charme étrange.
Les peintures d'Edgar, quant à elles, sont magnifiques et dérangeantes à la fois, nous faisant regretter de ne pas les avoir sous les yeux en même temps que nous tournons les pages. Et en fait, je crois que c'est vraiment ça que j'ai adoré dans Duma Key : contrairement à nombre de ses romans qui m'ont réellement foutu les boules, ce Duma Key se savoure plus dans la nuance. Il m'a vraiment dérangé à certains moments, sans me terrifier pour autant.
Les oiseaux qui volent à l'envers par exemple, mais il y aussi ce nain de jardin maléfique, Charley, aussi grotesque qu'effrayant. Ceci dit, ses apparitions en elles-même ne font que renforcer une impression de malaise, plutôt que d'horreur pure. Tout comme les autres apparitions, la poupée qui parle, le bras-fantome d'Edgar qui se réveille, le Perse voguant au loin, etc...
Ces détails participent tous à un sentiment général de malaise et d'insécurité, comme lorsqu'on marche à l'aveuglette sur une passerelle étroite dans la brume. On ne sait pas trop où on est, ce qu'il y a en-dessous et ce qu'il va se passer. Dans Duma Key, c'est exactement cela que j'ai ressenti et même si je n'ai pas été tout à fait surpris à chaque rebondissement, ils étaient cependant si bien amenés (tout comme l'intrigue dans son ensemble) que je n'ai rien trouvé à redire, tant c'était bien fait.
De la première à la dernière page, on est happé dans l'univers de ce roman, pareil à aucun autre dans la biblio de SK - alors que celui-ci recycle pourtant beaucoup de ses idées. Une atmosphère spéciale, pour un récit qui ne l'est pas moins.
L'écriture du King est ici directe, sans fioriture, mais parfaitement maitrisée et pleine d'images aussi poétiques que morbides et bien trouvées. On sent que l'auteur se fait vraiment plaisir et maitrise pleinement son sujet (là où Lisey, par exemple, pouvait devenir indigeste par moments).
A cela, rajoutons des personnages vivants, profonds, réfléchis et réellement attachants ; tout comme les relations qui les lient. Je pense plus particulièrement à Edgar et Wireman, qui tissent ici une relation d'amitié tout simplement belle, touchante. Rarement SK n'a réussi à donner autant de chair à ses personnages, à les faire vivre ainsi devant nos yeux et à nous émouvoir par leur entremise... si certains d'entre vous ont versé une larmichette, je pourrais dire que je vous comprends, même si ça n'a pas été mon cas.
Tout simplement magnifique !
Quant à Perse, nombreux sont ceux qui se posent des questions à son sujet et qui regrettent de ne pas en savoir plus. King a toujours aimé garder un peu de mystère sur les "méchants" de son oeuvre et celle-ci ne fait pas exception.
Le point central étant qu'elle a une forte emprise sur les gens (encore plus quand ces gens sont receptifs à certains stimulis artistiques) et qu'elle a de sombres desseins. Qu'elle est aussi très rancunière et revancharde, héhé, pourquoi vouloir en savoir plus?
Pour ma part, ça me suffit amplement
Le seul truc qui m'a légèrement déçu, c'est la toute dernière partie du livre, à Heron's Roost. J'ai trouvé cette exploration géniale, comme s'ils entraient dans un autre monde, avec - je me répète - ce coté hors du temps et dérangeant, une espèce de cauchemar vécu, où toutes les lois de la physiques sont chamboulées.
Mais j'ai été déçu en ce sens que je m'attendais à une espèce de confrontation finale, à quelque chose qui aurait donné un fort impact à l'expédition, qui m'aurait scotché en me disant "wow, hallucinant !" ou "beuuuh, dégueulasse" - quoique, je l'ai ressenti quand même, au moment où un insecte tombe dans la bouche de Wireman
RE-PU-GNANT !!
Mais voilà, je n'ai pas eu droit à mon habituel coup de bourre kingien, qui me laissait K.O. dans les 40-50 dernières pages...
D'un autre coté, c'est pas plus mal qu'il choisisse d'autres chemins pour nous surprendre !
En résumé, donc : un cadre merveilleux et atypique, contrebalancé par une atmosphère dérangeante et plutôt malsaine. Des personnages crédibles, attachants et excellents. Un coté surréaliste aussi bien présent dans les peintures d'Edgar que dans les éléments fantastiques instillés au compte-goutte. Et ce coté plus nuancé, plus subtil, où l'horreur se trouve à des endroits inattendus (et pas forcément sortant de la gueule d'un monstre effroyable).
Cet aspect, pas forcément plus "psychologique" (même s'il est toujours de plus en plus présent), mais plus dans la nuance et la demi-teinte : une épouvante toute en retenue, plus
surréaliste qu'irréelle, plus
menaçante que réellement agressive. Une horreur de fond, tel le murmure lointain des coquillages de Big Pink.