Synopsis : 22 novembre 1963 : 3 coups de feu à Dallas.
Le président Kennedy s écroule et le monde bascule.
Et vous, que feriez-vous
si vous pouviez changer le cours de l Histoire ?
2011. Jake Epping, jeune professeur au lycée de Lisbon Falls dans le Maine, se voit investi d une étrange mission par son ami Al, patron du diner local, atteint d un cancer. Une « fissure dans le temps » au fond de son restaurant permet de se transporter en 1958 et Al cherche depuis à trouver un moyen d empêcher l assassinat de Kennedy. Sur le point de mourir, il demande à Jake de reprendre le flambeau. Et Jake va se trouver plongé dans les années 60, celles d Elvis, de JFK, des grosses cylindrées, d un solitaire un peu dérangé nommé Lee Harvey Oswald, et d une jolie bibliothécaire qui va devenir l amour de sa vie. Il va aussi découvrir qu altérer l Histoire peut avoir de lourdes conséquences...
Une formidable reconstitution des années 60, qui s appuie sur un travail de documentation phénoménal. Comme toujours, mais sans doute ici plus que jamais, King embrasse la totalité de la culture populaire américaine.Avis personnel :Il y a des auteurs qui sont bons, qui vous font passer un bon moment le temps de quelques heures, sans laisser de traces impérissables. Il y a les très bons, qui arrivent, pendant le temps de notre lecture, à nous sortir de notre quotidien et qui laissent un petit souvenir après lecture. Qu'est devenu untel ? L'histoire aurait-elle pu finir autrement ? Il y a aussi ceux qui sont réellement talentueux et pour qui l'écriture est un Art, qui sculptent, peaufinent et cisèlent (ceux-là sont déjà plus rares). Et puis, il y a ceux qui possèdent la Grâce et que nous pouvons nommer sans honte des génies ; qui tissent, découpent et construisent des œuvres dont le moindre détail peut être analysé et décortiqué par des générations de critiques ou de spécialistes qui y trouveront toujours une nouvelle subtilité.
Stephen King, lui, est un conteur (de la plus noble espèce) et un magicien, avec en sus un petit peu de toutes les qualités énumérées plus haut. On ne disséquera pas sa prose ou ses mots un par un en criant au génie universel ou en tombant en pâmoison à chacune de ses phrases, mais il a ce don d'apporter à chaque chapitre ou paragraphe une saveur particulière - qui par un mot, qui par une évocation simple mais si parlante - et cette qualité encore plus rare de savoir harmoniser toutes ces saveurs particulières et bien différentes pour en faire un mets exquis et inoubliable. Hors du temps.
Qui se rappelle sa première lecture de Ca et cette impression de vide singulière après avoir tourné la dernière page ? Quelle empreinte indélébile aura pu laisser une simple phrase ou geste d'un des personnages de ces romans et dont le souvenir persiste longtemps après sa lecture ?
Oui, Stephen King est de ces auteurs-là qui marquent une vie de lecteur et dont le talent, au travers et au-dedans des œuvres s'épanouit comme les pétales d'une fleur à l'éclosion. Et
22/11/63 est à n'en pas douter une de ces plus belles fleurs, à la beauté sauvage et au parfum capiteux, enivrant...
Alors, avant qu'on me taxe de "partisan" ou de flagrant délit de complaisance, je tiens à remettre les choses en place : cela fait 20 ans que je lis du SK et je n'ai pas absolument adoré tout ce qu'il a fait. Certains de ses romans ou nouvelles ne m'ont pas touché du tout et pour dire vrai, au mitan des années 2000, j'étais presque prêt à l'enterrer. Un auteur mythique qui a eu ses hauts et ses bas, avec une nette baisse de régime dans les années 90/début 2000.
Si bien qu'après avoir lu Roadmaster, je n'en attendais plus grand-chose et que j'étais prêt à le reléguer au statut d'écrivain "génial et ayant connu sa période de gloire" mais qui finirait sa carrière pantouflarde au coin du feu ; à balancer son roman annuel comme les pompiers locaux viendraient nous vendre leurs calendriers.
"Ah tiens, le nouveau roman de Stephen King. Cool...
"
Puis, il y a eu Lisey Story et Duma Key, deux très bons romans "de transition", pourrais-je dire, mais qui montraient encore un auteur solide et bien en forme malgré les tacles du temps passant. Mais surtout il y a eu Dôme, excellent roman-fleuve de plus de 1000 pages, où le vieux briscard de Bangor démontrait que son ambition avait encore de beaux restes et qu'il était encore capable d'accoucher d'une oeuvre puissante, marquante et tout à fait intégrée dans son époque. Un réel chef-d'oeuvre qui se bonifiera encore avec le temps, j'en suis sûr !
Aussi, quand est sorti 22/11/63, j'ai été pris entre deux positions : celle, d'un coté, voulant accorder à SK toute la légitimité d'un talent encore bien vivace qui était le sien (fin de carrière ou non) et l'autre, qui dans ma tête de SF-boy un peu blasé me faisait dire "ben merde,
encore une histoire de voyage dans le temps... Et avec JFK en plus !" A priori, rien de bien excitant pour moi
Et pourtant... A lire tous les avis élogieux à droite à gauche, on avait là un nouveau
master-piece et une petite voix en moi s'est mis à chuchoter "et si...?" malgré mes quelques réserves initiales. Tout en sachant, après la lecture de Dome, que SK était encore en pleine possession de ses moyens.
C'est donc le cœur fébrile que, m'ayant vu offert le roman il y a 2 ou semaines, j'entamais avec une curiosité et une excitation réelle la lecture de 22/11/63 !
Une réelle merveille, l'un de ces romans dont je parlais plus haut et qui nous hantent - nous et nos souvenirs - pendant des semaines et des mois...
AH, FACILE HEIN ?
Mais non, parce qu'il y a quand même des points négatifs et je me dois de les soulever avant de continuer (histoire de laisser le meilleur pour la fin lol). Alors oui, sur un roman de presque 950 pages, il y
forcément des longueurs : Ainsi, puisqu'il s'agit de là de l'un des romans les plus ambitieux du King, de par son (ses) thème(s) et ses tenants et aboutissants, il y a forcément des moments de ventre mou.
- Spoiler:
Par exemple, même si l'immersion de la vie de Jake dans le passé se doit de passer par tout ce qu'il vit et ressent alors, j'ai trouvé que la phase d'enseignement et son "existence sociale" dans le Jodie des années 50/60 aurait plus être plus "survolée". Certes, il y a tout de même certains moments forts, tels que la pièce de théâtre (Aaaah, Des Souris et des Hommes ! magnifiquement "réinterprété par la plume de King sur les planches d'un lycée de l'époque) ou la scène du bal, où Jake et Sadie entament leur première danse (superbe et touchante - "la danse, c'est la vie"). Mais au final, certains passages auraient pu être supprimés, de même que les passages où le héros espionne sempiternellement Oswald, même si ça rentre tout-à-fait dans la logique du récit.
Un peu de ventre mou, donc, pour certains passages.
Mais à coté de ça, les défauts ont aussi leur qualité et tout cela participe à l'immersion complète du lecteur dans ce cadre des années 50-60, avec ce charme enivrant des années insouciantes. On sent l'amour de l'auteur porté à cette époque (qu'il a connu et "magnifie" peut-être un peu, sans oublier pour autant leur aspect le plus sombre) et celle-ci est communicative.
On sent l'énorme travail de documentation derrière tout ça, aussi bien sur les us et coutumes de cette époque, les petits détails, que sur tout ce qui a attrait à l'assassinat de Kennedy. De ce point de vue-là, c'est peut-être l'un des romans les plus poussés et documentés de l'auteur, où le travail d'archivage se mêle à l'imagination de celui-ci, pour pousser le lecteur à imaginer ce qui "aurait pu être
si". Et cela est un vrai plaisir : l'effet papillon secoue l'ombre de ses ailes sur une intrigue parfaitement maîtrisée, qui peut à tout moment partir dans les directions les plus folles. Un vrai plaisir !
La tension et l'émotion se mêlent à tout moment et une simple image, une simple évocation suffit à nous retourner le cœur ou à nous bouffer les veines de frustration, en attente du prochain chapitre. Et puis, encore une fois, ce cadre : les années 50 et leur insouciance presque magique, intemporelle, leur musique qui donne envie de se trémousser même si on n'a jamais esquissé un pas de danse de notre vie lol Il y a réellement là quelque chose de fou et de magique, oui, qui nous donnerait presque envie de remonter le temps pour nous immerger nous aussi dans cette époque révolue.
La nostalgie puissante que l'on peut ressentir à la vue d'un Retour Vers le Futur et qui nous fait rêver de la même façon sur le mode "et si on aurait pu... ?" C'est d'ailleurs l'un des seuls reproches que je pourrais faire à ce roman : que contrairement à cette trilogie cinématographique, il n'y ait pas plus de recoupements fous entre passé, présent et futur - même si de ce coté-là, la dernière 100aine de pages est plutôt jouissive, dois-je avouer.
Dommage cependant que l'auteur n'aie pas été un poil plus "aventureux" de ce coté-là...
Enfin voilà, je vais pas encore y passer des heures, mais j'ai pris un plaisir monstre à parcourir et dévorer ces pages, pleines de folie, de rythme, d'innocence, mais aussi de fureur et de violence, et de ce je-ne-sais-quoi de purement féerique qui fait la touche King. Un petit parfum de "comme si j'y étais" et qui nous livre un instantané de chaque image, de chaque situation, comme si on regardait un film des plus réalistes.
Ah, et puis au rayons clins d’œil et recoupement avec les autres romans quand même :
- Spoiler:
Les jouissifs rappels à Ça (Bev et Richie, Les Friches Mortes, mais aussi l'imbuvable Norbert Keene, la "chose" dans la cheminée écroulée des aciéries Kitschener), dans toute cette 1e partie se déroulant à Derry et qui rappelera de bonnes choses aux fans. Et à la fin du roman, lorsque Jake remet pied dans ce 2011 alternatif flippant où l'on peut trouver des voitures estampillées Takuro Spirit - avis aux amateurs de la Tour Sombre !
Bref, un roman colossal, inspiré et ambitieux (probablement l'un des plus ambitieux de son auteur, même), touché par la grâce d'un écrivain au summum de son art, ayant appris à laisser derrière lui les goules de son imaginaire pour les remplacer par celles de l'inconscient collectif. Tel le
Jimla d'un clodo en phase terminale d'alcoolisme. Et cela se révèle plus terrifiant encore et jubilatoire à la fois que n'importe quelle montagne russe horrifique.
Chapeau Mr. King, vous m'avez transporté encore une fois !