Synopsis :Photographe de grand renom, Will Rabjohns fait frissonner le monde entier avec ses clichés où la nature sauvage se dévoile sous ses aspects les plus cruels. Son oeil impitoyable traque sans relâche les derniers instants des animaux en voie de disparition. Quand l'attaque brutale d'un ours polaire d'Alaska le laisse entre la vie et la mort, Will se trouve plongé dans un coma profond. Il revit alors une aventure inquiétante, enfouie au plus profond de ses souvenirs d'enfance : sa rencontre nocturne avec un couple étrange, porteur d'une terrible mission de mort. Et Will va se retrouver face à une vérité qui le dépasse et l'entraîne des bars gays de San Francisco aux collines du Yorkshire, puis dans les îles au large des côtes de l'Écosse, à la recherche de sa propre identité et de la source de toute vie.
Le sexe, l'écologie, le sida, la fascination de la mort, l'origine de la vie : une foule de thèmes forts que Clive Barker entrecroise dans Sacrements, roman-fleuve qui plonge vers les profondeurs troubles où l'abominable côtoie le merveilleux. Un concentré de l'horreur pure, des images scabreuses et des visions inoubliables qui ont permis à Clive Barker de séduire des millions de lecteurs.Avis personnel :Aaaah, Sacrements... La simple évocation de ce roman me donne des frissons !
Un roman très particulier, à plus d'un titre.
Particulier à mes yeux, pour commencer, car c'est le 1e roman de Barker que j'ai lu et celui qui a été pour moi un vrai déclic en ce qui concerne l'écriture. Avant ça, j'étais un fan de SK et plus d'une fois j'ai été tenté de prendre la plume après avoir lu l'un de ses livres, mais c'est après avoir dévoré Sacrements que je me suis réellement lancé. C'est donc un roman qui tient une place très particulière dans mon cœur.
Mais il l'est également pour l'auteur lui-même, qui signe là l'une de ses œuvres les plus personnelles et atypiques. Après les romans-fresques Imajica et Secret Show/Everville, il délaisse un moment les grandes épopées baroques remplies d'aberrations et de mondes parallèles pour signer un récit "simple" et intimiste, où le fantastique pur tient une place un peu moins prépondérante. Il n'en disparaît pas pour autant, mais on sent ici l'écrivain anglais émigré aux states tourné vers d'autres préoccupations et d'autres thématiques, peu abordées dans son oeuvre ou dans le genre fantastique en général.
La disparition des espèces animales, la nature auto-destructive de l'homme (aussi bien lui-même que son environnement), l'homosexualité et le fléau du sida qui touche le milieu depuis les années 80, la recherche des l'origine des choses et les secrets de la divinité. Et au milieu de tout ça, la marginalité, parfaitement illustrée par le héros Will Rabjohns (de par ses penchants sexuels, mais aussi son travail) et renvoyée par jeux de miroirs par le couple Rosa/Jacob. Le tout traité avec un certain cynisme et un désenchantement qui colle parfaitement avec le ton du roman et les sujets abordés.
Et au final, tout cela est parfaitement cohérent, car les excès des uns se retrouvent dans les doutes des autres, le regard que Will porte sur le monde et l'espèce humaine renvoie aux aspirations divines de Jacob, qui lui-même est à la recherche de ses propres origines, tandis que la quête de Will le transforme peu à peu en une espèce de shaman moderne. Tout s'imbrique parfaitement, dans une intrigue dense et parfaitement maîtrisée, où l'écriture de l'auteur se fait à la fois sombre, poétique et épurée, parfois traversée de véritables élans de génie - je pense là par exemple, aux visions du personnage principal ou aux épiphanies diverses qui ponctuent le récit.
Si ce roman m'a autant marqué, c'est autant par la plume (vraiment inspirée ici) que par les thèmes traités, qui m'ont parlé dès les premières pages. J'ai toujours été sensible aux questions environnementales, mais surtout au rapport de l'Homme à la nature et les liens multiples qui les unissent ; le concept même de shamanisme m'ayant toujours attiré. Ce lien privilégié entre le monde sauvage, celui des hommes et celui des esprits, qui nous offre des visions que chacun peut interpréter à sa façon, aussi bien pour changer le monde que sa propre compréhension de celui-ci. Des thèmes qui m'ont toujours parlé et qui sont ici magnifiquement traités par l'auteur. De la même façon que Will suivra durant tout le roman un parcours initiatique qui le transformera à jamais, ce roman m'a lui aussi transformé et a apposé sa marque sur moi.
Pour autant, malgré cette approche plus intimiste et personnelle, on y retrouve toujours certains des penchants habituels de Barker, comme ce mélange de violence extrême et de désir charnel (souvent imbriqués l'un dans l'autre) ou l'ambivalence de ses personnages, pouvant se conduire à la fois comme des monstres et réagir l'instant d'après comme des gamins pris en faute. L'aspect fantastique, bien que moins en avant que dans ses autres romans, est bel et bien présent, par petites touches au début - les 160-180 pages inaugurales sont un modèle de mise en abîme stylisée et inventive - puis de plus en plus envahissant, à l'image d'un certain Seigneur Renard, qui restera à jamais l'un de mes personnages de fiction préférés.
Mais la force principale de Sacrements n'est pas là, non. La vraie force de ce roman, c'est la façon qu'à Barker de tisser une toile parfaite et cohérente à partir de tous ces éléments et d'en faire une oeuvre pertinente, qui délivre un vrai message. Que recherchons-nous en ce monde et quels sont nos points d'ancrage ? Comment notre perception des choses peuvent-elles influer sur notre environnement direct, notre entourage ? Qu'est ce qui sépare l'homme de Dieu ? Comment naissent les mythes et les histoires ?
Autant de questions auxquelles l'auteur s'amusera à répondre à sa façon (ou non), avec le sens de l'imagination qu'on lui connait.
Et puis, il y a aussi ces personnages : Will, Adrianna, Jacob et Rosa, Frannie et Sherman, tous très attachants et fouillés, contrairement à beaucoup d'autres de ses romans où ceux-ci ne sont que de la chair à canon. Ici, chacun possèdent leur petit truc qui nous donnent envie d'avancer dans l'histoire avec eux - ou de les détester. Comme le père de Will, professeur de philosophie à l'égo hypertrophié, qui finalement ne pousse pas ses méditations plus loin que de simples considérations scatophiles sur la façon dont nos déchets intimes peuvent influer sur l'univers et l'inconscient collectif lol (l'un des passages les plus poilants du bouquin, d'ailleurs).
Juste une petite citation pour le plaisir : Will retrouve son père (qui ne le tient pas beaucoup en estime, de fait de son homosexualité, entre autres choses) sur un lit d’hôpital, après des années d'absence :
-Mon dieu, murmura Hugo, outré, comment ai-je pu faire pour engendrer une telle chose ?
-En baisant, papa. Enfin, j'imagine.
Bref, pour tout cela et encore bien plus, Sacrements est l'un de mes romans favoris (tout genre confondu), mais aussi l'un des romans de Barker les plus atypiques et réussis.
Si Imajica et Le Royaume des Devins demeurent pour beaucoup des sommets dans la carrière de l'artiste, Sacrements restera pour moi son roman ultime, celui qui embrasse à la fois toutes ses qualités artistiques et esthétiques, ainsi que des thèmes dont je me sens très proche. Une véritable merveille, qui se bonifie avec le temps, un must-read comme on en lit rarement...
Amis de fantastique ou juste d'excellente littérature, je vous le recommande très très chaudement !
Et une petite fanpic pour finir, pour le plaisir des yeux :