Synopsis :Cette nouvelle édition de Faërie permettra à tous les lecteurs du Seigneur des Anneaux de découvrir plus largement l'univers de Tolkien.Dans son essai Du conte des fées, Tolkien nous donne une clé pour entrer dans son univers imaginaire. Au sommaire également : trois nouvelles (Feuille, de Niggle ; Le Fermier Gilles de Ham et Smith de Grand Wootton), Le Retour de Beorhtnoth, un texte sur la guerre et l'héroïsme, accompagné de réflexions de Tolkien qui font écho au Seigneur des Anneaux ; Mythopoeia, texte fondamental pour comprendre Tolkien et sa relation aux mythes, et enfin, une traduction révisée des Aventures de Tom Bombadil – accompagnée du texte anglais –, précédée d'une introduction de l'auteur, qui intègre ce recueil dans le cycle de la Terre du Milieu.Avis personnel :Après le roman de Feist, je passe d'une Faërie à l'autre...
Eh bien, encore une fois avec Tolkien, j'ai pris beaucoup de plaisir à lire ! - malgré le coté un peu fourre-tout de l'ensemble.
Pour être le plus clair possible, je vais donner mes impressions sur chacun des textes compilés ici, plutôt que de donner un avis général (qui de toutes façons sera plus que favorable lol).
Donc, on a :
-Le Retour de Beorthnoth : Un texte en 3 parties s'inspirant d'un poème traditionnel en vieil anglais. La première partie est une simple présentation du contexte historique du poème original et nous donne quelques indications pour mieux appréhender le poème lui-même. La deuxième est le poème allitératif de Tolkien s'inspirant de l'original et qui offre quelques images puissantes et la dernière est enfin une courte étude/analyse du poème (original) et la façon dont celui-ci s'inscrit dans la tradition littéraire médiévale anglo-saxonne.
J'ai bien aimé l'ensemble, surtout le poème, mais rien de transcendant non plus ; on sent le Tolkien plus professeur que réellement écrivain ici mais c'est intéressant à lire ceci dit.
-Du Conte de Fée (ou Faërie, donc) : Un essai plutôt fourni (près de 100 pages) sur le conte de fées, ses origines, ses pourquoi, ses comment et autres considérations méta-littéraires qui peuvent parfois se révéler aussi passionnantes que rébarbatives. Car s'il est intéressant de comprendre le point de vue d'un érudit et philologue réputé sur la question, on tombe bien souvent dans une analyse un peu tirée par les cheveux ou maniérée ; et, si je n'utiliserais pas le terme "pompeux" ou "verbieux" pour décrire cet exposé, je trouve quand même qu'on en est souvent pas loin lol. On sent que le bonhomme connait son sujet, mais il se perd souvent (à mon avis) dans des considérations personnelles mais également déformées par le prisme professionnel du philologue essayant de commenter, de questionner et de mettre en corrélation des éléments épars à travers ce même prisme, très vaste et réduit à la fois par les propres limites qu'impose l'exercice... Ce qui a la fin peut devenir un peu redondant voire fatiguant, même.
Après, il est passionnant de suivre le cheminement intérieur du Maître sur un sujet à-priori connu de tous, mais qui pour lui possède une résonance toute particulière. Il est intéressant également de voir les différents raisonnements et l'autodiscipline que demande l'exercice de l'essai adapté un tel sujet (que certains pourraient juger "peu sérieux" ou casse-gueule), mais le problème à un moment donné... bah, c'est juste que ses points de vue et questionnements n'entrent pas forcément en résonance avec mon expérience et mon vécu de lecteur
Du coup, j'ai un peu décroché à la fin, mais comme je le disais, ça reste quand même instructif, rien que pour connaître l'opinion de Tolkien sur ce qui reste l'une des influences prépondérantes dans son écriture. Mais après, ce sera peut-être plus à réserver pour le fan pur et dur (voir le geek Tolkienien) que le simple amateur.
Les 3 contes :
-Feuille, de Niggle : Excellent ! On reconnait le ton particulier de l'auteur, dans une historiette qui rappelle par moments Bilbo, avec ce ton un peu espiègle et gentiment sarcastique parfois même, mais qui sous ses airs fantaisistes, en dit bien long également sur qu'il pense des establishments et des conventions sociales un peu trop intrusives à son goût.
Rafraîchissant et non dénué de fond à la fois, j'ai beaucoup aimé !
-Le Fermier Gilles de Ham : Le plus long des trois et probablement le plus réjouissant, dans sa façon qu'il a de tourner en dérision les codes du conte, tout en y étant très fidèle dans la forme.
Ainsi, comme "Feuille de Niggle", il peut paraître un peu léger au premier abord, avec son histoire de dragons et de chevaliers, mais en creusant un peu, on réalise que Tolkien a voulu "pervertir" les symboles typiques du conte. Ainsi, les fiers chevaliers deviennent des pleutres se renvoyant chacun la politesse pour ne pas avoir se battre au moment opportun, le roi est un décrit comme un homme aussi stupide que cupide et le héros, couard lui aussi au départ, ne doit finalement son succès qu'à une chance inouïe, qu'il sait faire fructifier de la meilleure façon pour tourner les choses à son avantage. On y croise également le vieux sage distribuant ses précieux conseils, mais de façon détournée et finalement le personnage le plus attachant est
- Spoiler:
le chien du héros, doué de parole lol
Les rôles sont inversés et la grande Geste moyenâgeuse se transforme en farce élaborée sur le thème du conte et des mythes de l'époque.
Tolkien y démontre tout son talent et sa grande connaissance du genre, en se permettant d'égratigner ses figures héroïques tout en écrivant une histoire prenante et intéressante, riche en péripéties et rebondissements.
-Smith de Grand Wootton : Probablement celle du lot que j'ai préféré (et qui aurait d'ailleurs plus mérité que l'essai le nom de Faërie, de par les thèmes qui y sont abordés).
Car oui, sans spoiler le cœur de l'intrigue, je peux dire qu'il y est question du "monde des fées" et que ce récit s'approche le plus du conte classique, tel que Tolkien le décrit dans son essai. Comme les autres, ce conte semble plutôt léger dans un premier temps, mais l'auteur y aborde néanmoins des sujets plus sérieux et avec parfois même un certain gravitas absent des deux contes précédents. On y parle notamment du sentiment de perte, de l'amertume accompagnant la vieillesse et le souvenir des choses perdues, du thème de la transmission et de l'héritage, également
- Spoiler:
aussi bien entre le Maitre Queux et son apprenti que le héros et son "mentor" dans le monde de Faërie
.
Des thèmes forts et traités de façon très juste et pertinente par l'auteur.
Que ce soit le germe et la floraison du bonheur - via la découverte d'un
ailleurs fantasmé et sans limites - ou le crépuscule de l'âme lié à sa perte, toujours les mots sonnent juste et à hauteur d'homme, se refusant de faire passer l'imaginaire avant le cœur humain de ce qu'il est censé raconter. En cela, Tolkien est selon moi un très grand conteur.
Quant à la partie "imaginaire" du récit, elle regorge d'images saisissantes et inspirées (dont certaines d'entre elles m'ont justement rappeler Faërie de Feist, que je venais juste de lire : signe qu'encore une fois en fantasy, tout se recoupe et se recroise lol).
Bref, une très bonne histoire qui clôt de belle manière la partie "contes" de ce recueil.
-Mythopoiea : Encore un (long) poème en vers allitératifs (apparemment l'un des genres de poésie les plus prisés de l'auteur), qui expose sa vision des mythes et leurs rapports avec la création artistique.
Intéressant, mais là encore un peu trop souvent alambiqué pour moi, même si certains passages sont de toute beauté - succédant à d'autres, tellement nébuleux que je me demande si l'auteur lui-même savait où il mettait les pieds en les écrivant lol (ce qui est tout à fait faux, bien entendu, Tolkien faisant partie de ces perfectionnistes qui pouvaient écrire et réécrire le même texte des décennies durant pour arriver au résultat souhaité).
Hum bon, en fait j'ai juste pas accroché, quoi...
-Les Aventures de Tom Bombadil et autres vers tirés du Livre Rouge : Celui-là, je l'avais déjà lu y'a une bonne tripotée d'années, après ma lecture du SDA.
J'en avais gardé un souvenir un peu ennuyeux, le Steve de l'époque goûtant très peu la poésie et se lassant vite de toutes ses rimes et vers, qui plus est écrit dans un style léger voire enfantin. Ben près de 20 ans plus tard, (oui, oui, tout ça
), je redécouvre les aventures de Tom Bombadil avec un oeil plus averti et j'y ai pris un sacré plaisir ! On sent que Tolkien lui-même s'est fait plaisir, en implantant ces "boutades" rimées dans la tradition hobbite et j'avais même oublié que certains de ces poèmes étaient signés de la main de Bilbo lui-même ou de Sam Gamegie. On reconnait effectivement bien l'humour des gens de la Comté, qui pouvaient également s'émerveiller de choses banales (ou s'éloignant légèrement de leur quotidien réconfortant) ou s'amuser des détails les plus triviaux. Comme l"illustre parfaitement "Le Troll de Pierre" (où Bombadil n'est plus qu'un figurant), savoureux à souhait, ou le jeu sur les sonorités dans "Princesse Moa". On y croise également quelques surprises, telles que "Les Miaulabres" au climat plutôt sinistre ou "Le Dernier Vaisseau", poème d'influence elfique qui fait référence
- Spoiler:
au départ du peuple elfique des Terres du Milieu pour gagner les Havres Gris, comme on peut le voir à la fin du Seigneur des Anneaux.
Après, si j'ai adoré relire cette collection de poèmes, je me pose la question de son utilité dans le présent recueil.
Bien qu'en l'état, Les Aventures de Tom Bombadil ne soit pas bien épais (l'édition anglais/français que je possédais ne devait pas dépasser les 80 ou 90 pages), je pense qu'il est finalement logique qu'il soit publié à part, comme tel, car il possède un style et univers propre. Mais le réunir ici avec des textes aussi divers me semble, d'un point de vue éditorial, pas bien malin ni logique. On y perd au passage un peu de sa spécificité, je trouve.
Mais bon, je pourrais dire la même chose des 3 contes, qui mériteraient presque, eux aussi, une édition propre.
En fin de compte, j'ai tout de même beaucoup apprécié la lecture de ce recueil.
Bien qu'il soit étonnant de trouvant dans le même volume des textes d'inspiration et de formes aussi diverses, c'est aussi une bonne porte d'entrée pour celui qui voudrait s'intéresser au Tolkien "autre" que celui mondialement connu pour Le Hobbit, Le Seigneur des Anneaux ou le Silmarillion. Pourtant, même si aucun de ces textes ne se rapporte à son
legendarium, on y retrouve néanmoins la plume inspirée, poétique et rigoureuse de l'auteur ; mais avec en plus un aperçu plus marqué sur ses influences directes et la façon, dont à partir de celles-ci, il a pu façonner son univers et ses propres mythes. Il est assez intéressant d'ailleurs de voir que si le brave Niggle ou le fermier Aegidius (ou Gilles) n'ont pas de sang hobbit, ils partagent beaucoup d'attributs avec les illustres Bilbo ou Frodon. Et on se plaira également à reconsidérer certains des motifs récurrents de l'auteur après la lecture de son essai sur les contes de fées, qui en dit tout de même assez long sur ce qu'il aime dans ce genre et lui donne lui-même l'envie de prendre la plume.
En cela, le volume tout entier est tour à tour plaisant ou carrément passionnant à lire, tant on peut en apprendre sur l'auteur qui a donné ses lettres de noblesses au style Fantasy du siècle dernier. Ou simplement kiffer, sans chercher plus loin.
Et c'est surtout ça que je retiendrais de ce Faërie, au final : il y a ici à boire et à manger, pour le néophyte comme l'amateur éclairé et quiconque a déjà entendu parler de Tolkien peut lire ce recueil sans prise de tête, en prenant ce qui l'intéresse (les 3 contes centraux sont parfaits pour ça) et en mettant le reste de coté si ça le fait moins.
Pour ma part, j'y ai pris beaucoup de plaisir dans l'ensemble et je pense que je reviendrais y piocher de temps en temps, quand l'envie m'en prendra. A lire, pour les curieux et les amateurs !