ATTENTION, CE MESSAGE CONTIENT DE NOMBREUX SPOILERS !!(je le précise maintenant pour ne pas avoir à spoiler la totalité du message lol)
Bon, je vais tenter d'expliquer ici pour quelles raisons j'ai adoré ce bouquin et pourquoi il m'apparait, jusqu'ici, comme une des oeuvres de King les plus riches et les plus abouties (en dehors de la
Tour Sombre, bien entendu).
Le Fléau, c'est l'histoire d'un virus mortel et extrement contagieux, c'est le récit du déclin et de l'effrondrement de la civilisation telle que nous la connaissons, ce à quoi pourrait finalement ressembler la fin du monde si un tel fléau s'abbatait réellement sur nous.
J'en ai souvent parlé, mais je trouve que ce roman a un fort arrière-gout de
Désolation (mais en fait c'est plutot le contraire) : meme parfum d'apocalypse et cette idée similaire de l'affrontement du bien entre le mal, sujet assez récurrent dans la littérature d'horreur en general et encore plus chez King, mais qui trouve ici un écho très fort en raison de son sujet meme et des différents thèmes abordés.
Tout comme
Désolation, on retrouve le camp des "gentils" menés par l'image de la bonté meme et de la pureté (mère Abigaël dans
Le Fléau et David dans
Désolation) et le camp des "méchants" dirigé par l'incarnation du Mal (Randall Flagg ici, Tak dans
Désolation). Et dans les deux romans, toujours ce manichéïsme caracterisé mais aussi ses figures christiques, ses symboles, ses references religieuses (Abigaël et David partageant un lien unique avec Dieu, ces derniers accomplissant Sa volonté et agissant en Son nom), tout ce bagage théologique qui propulse l'histoire bien au-dela de son simple postulat de départ - la destruction de la société et de la civilisation.
Les liens entre les 2 romans sont évidents et nombreux et avec le recul on pourrait presque voir
Désolation comme une espèce de "complément" ou de suite au
Fléau, à une echelle certes plus réduite mais lui aussi marqué par la menace du desastre et ce souffle épique qui avait déjà fait frémir les lecteurs presque 20 années plus tot...
Pour ce qui est du
Fléau, la valeur symbolique du concept bien/mal ne se vérifie jamais mieux que dans ses propres representants : Mère Abigaël est une vieille femme humble et genereuse, vivant seule et dans le dénuement le plus complet, loin de la ville. Dans son sillage on assiste à des miracles (les douleurs de Fran qui disparaissent dès que la vieille femme lui aggrippe le bras) et elle-meme possède certains dons de voyance ou de prémonition. Quant à Flagg, il possède une force physique redoutable, enflamme ou calcine des objets avec un simple regard, levite au-dessus du sol et se fait obéir des animaux. Il a aussi son Oeil, grâce auquel il peut projetter son esprit et ses yeux loin devant lui afin de proteger ses arrières.
Ils sont tous deux l'incarnation meme des valeurs auxquelles ils sont rattachés et bien qu'étant "humains", ils possèdent aussi une dimension spirituelle leur conférant une aura mystique qui consolide toute la thématique théologique et religieuse de l'oeuvre.
Ce n'est plus une vieille noire un peu illuminée et un jeune loup légèrement fou qui se battent, mais bien la transposition Kingienne de l'eternelle lutte entre le bien et le mal - orchestrée ici de main de maitre et avec toute la puissance d'evocation qu'on est en droit d'attendre d'une telle confrontation.
Toujours au niveau des symboles, il y aussi les lieux : Las Vegas, repaire de Flagg et des siens est la capitale du jeu (donc du vice), du mensonge et des faux-semblants perdue au milieu d'un desert sans vie; tandis que la Zone Libre, quartier général de Mère Abigaël se situe dans une zone de montagnes et de plaines, au plus proche de la nature (ramenant la condition humaine à quelque chose de plus élémentaire : toujours cette volonté d'humilité et d'abnegation).
Bref, il y a une grande richesse, une grande cohérence dans la thématique religieuse et spirituelle dans
Le Fléau et les exemples precedents ne sont que les plus evidents!
Au-dela des references bibliques et de l'affrontement "mystique" entre ces deux camps, on retrouve aussi cet aspect spirituel au-travers des héros : chaque personnage poursuivant son propre chemin de croix, chacun ayant sa face obscure. Tout n'est jamais blanc ou noir et même les collaborateurs de Flagg possèdent leur part de bonté. Tous possèdent cette part d'humanité qui les rend proches de nous, quels que soient leurs choix ou leurs actions.
Peut-etre une façon pour King de nous dire que les choses ne sont jamais aussi simples et binaires qu'elles peuvent en avoir l'air.
La scène de la "mutinerie" avant l'explosion de la bombe en est un très bon exemple : meme au pays du mal, il y a toujours quelque chose à sauver
Les racines sont peut-etre pourries mais ça ne veut pas dire que tous les fruits seront nécessairement mauvais...
Allez, une ptite image juste pour le plaisir des yeux (c'est l'heure de la pause):
Autre aspect interessant, outre son aspect religieux et théologique (peut-etre trop appuyé, diront certains), on y trouve une critique acerbe du gouvernement americain au travers son organe militaro-politique.
On ne s'etonnera pas par ailleurs de voir SK publier quelques années plus tard dans le recueil du même nom sa nouvelle
Brume, dont le point de départ est également une experience scientifique dirigée par l'armée qui a mal tourné. Sauf que dans le cas de
The Stand, il s'agit d'un virus extremement virulent et contagieux qui décimera 90% de la société americaine et le ton du roman ne se voulant pas très optimiste, on peut s'imaginer qu'il en sera rapidement de même pour le reste du monde.
Meme si King a ecrit bcp d'histoires très sombres, celle-ci restera une de ses plus noires, les plus pessimistes et fatalistes, parlant de cette calamité comme une chose inévitable qui était non seulement hautement prévisible mais qui se renouvellera probablement dans les années à voir.
Il n'y à qu'à voir les prédictions du sociologue Glen Bateman sur les probabilités qu'une telles chose se reproduise en analysant la façon qu'ont les gens de se comporter en masse pour prendre conscience de ce constat. Triste mais réaliste. En lisant entre les lignes, c'est tout le doute, l'appréhension, la rancoeur et le mépris de King envers son gouvernement qui apparait dans ce roman et il ne manquera jamais une occasion d'egratigner "l'american dream" en faisant passer les dirigeants du pays pour des falisificateurs, des conspirateurs, des menteurs ou des tueurs selon les moments.
Aucun doute que l'ecrivain est très amer envers son pays et la façon qu'a ce dernier d'agir ou de commander dans l'ombre (on retrouvera d'ailleurs cette haine - ou cette peur - des groupuscules secrets au service du pays dans
Charlie, au travers de La Boite).
Toujours dans la critique de certaines institutions de son pays, King pointe aussi du doigt sur cette société de consommation où l'homme devient peu à peu esclave de ses biens matériels, des produits qu'on lui vend ou des machines.
Le monde est à l'agonie mais les machines, elles, marchent toujours.
Toutefois, sans les hommes qualifiés pour les manoeuvrer elles ne deviennent que des cadavres mécaniques, au même titre que leurs créateurs exterminés par le virus et les survivants se voient contraints de revenir à des valeurs plus saines, plus simples, plus naturelles.
Et ce n'est qu'une fois revenu à ces bases plus saines que la vie pourra reprendre son cours... c'est d'ailleurs dans ces moments-là que
Le Fléau montre sa face la plus optimiste et humaniste : tant que certains hommes de bonne volonté seront là, il y aura toujours de l'espoir
Quelques détails qui m'ont un peu surpris, toutefois : il y a certaines incohérences ou mystères temporels que j'ai trouvé déconcertants.
Dans son prologue, King précise que cette "nouvelle" version est en fait la vision d'origine qu'il avait du roman, certains passages ayant été coupés lors de sa parution originale en 1978. Dans ces pages, il y a par exemple une allusion à une certaine ecrivain
e de Haven (Bobby Anderson), sauf que les Tommyknockers n'a été ecrit qu'en 1987. Il fait aussi allusion à Georges Bush plusieurs fois... peut-être qu'à l'epoque, le personnage était déjà un homme politique assez influent aux states mais la façon dont cela est amené à chaque fois me laisse penser qu'il avait le
Président Bush en tete en ecrivant, lequel n'a été élu qu'à la fin des années 80 (ou en 1990, me souvient plus trop).
Mais le plus troublant reste encore cette mention à Rambo 5 (la serie s'est arreté au 3e episode mais là n'est pas la question), car le premier épisode de la serie étant sorti au tout début des années 80 - 1982, je crois - King n'avait aucun moyen de pouvoir en parler en 1978. Malgré ses affirmations de n'avoir que réincorporé les passages manquants de la première version, tout porte à croire qu'il n'a pas pu s'empecher quelques rajouts lors de la 2e sortie du roman en 1990.
Ce n'est pas bien grave cependant ; au contraire, ça nous permet d'apprécier l'histoire avec des repères temporels plus proches de notre époque et donc rentrer encore plus facilement dedans !
Stephen King signe avec ce roman une de ses oeuvres les plus abouties, les plus complètes et ambitieuses et c'est d'autant plus marquant qu'il est encore à ce moment-là dans la jeunesse de sa carrière. C'est peut-etre justement cette "fougue" qui rend
Le Fléau si excitant, roman typique d'un époque où le romancier pouvait accoucher de concepts géniaux et ambitieux aussi facilement que certains se brossent les dents. Viendront ensuite les années 80 avec la consécration, le succès et la notoriété, ainsi que certains de ses plus grands romans (
Ca,
Simetierre,
Misery,
Cujo et bien d'autres).
Donc, à tous les titres
Le Fléau est un roman exceptionnel et bien entendu indispensable pour tout "fan" qui se respecte : je ne saurais que trop le conseiller à tous ceux qui ne l'ont pas encore lu !
Voilà, c'est à peu près la synthèse de tout ce que j'ai retenu d'intéressant de ce livre, mais bien entendu on y retrouve aussi tout ce qui fait d'un livre de King un bon roman : des personnages nombreux et attachants - ici vraiment TRES nombreux, à un tel point que j'ai souvent dû revenir en arrière ou relire certains passages pour m'y retrouver -, de l'humour, une psychologie toujours très poussée, autant pour les personnages que dans leurs interactions, une ecriture comme d'habitude très agreable, etc.
J'ai beaucoup aimé le personnage tourmenté de Harold (entre autres).
Le nombre de pages n'est ici vraiment pas un problème, c'est même plutôt une bénédiction, vu la profusion de thèmes traités et l'ambition du projet. Il y a une résonance épique et sauvage tout au long des 1200 pages de ce bouquin, qui éclate parfois comme une giclée d'acide et qui éclaboussent certains passages d'une classe majestueuse, d'une beauté incandescente... à en tomber par terre !
D'ailleurs, et ce n'est pas que l'utilisation commune de l'Oeil qui me fait penser ça, mais je retrouve un peu de ce caractère épique (et parfois un peu solennel) dans
Le Seigneur Des Anneaux, ou plutôt, je retrouve un peu le caractère epique du SDA dans
Le Fléau, je ne sais pas si certains de vous ont eu cette impression mais moi ça m'a sauté en pleine figure quasiment dès le début...
Sûrement un petit clin d'oeil de King à Tolkien, ne sachant peut-etre pas à l'epoque jusqu'où aller le mener sa
Tour Sombre Le seul truc que j'ai trouvé un peu moyen est la fin (l'explosion atomique) vite expediée, ça m'a laissé un ptit gout de baclé dans la bouche. Peut-etre King voulait-il en finir rapidement avec son méchant ou peut-etre n'avait-il pas réussi à le supprimer de façon assez convaincainte au vu de ses formidables pouvoirs, toujours est-il que ça m'a un peu laissé sur ma faim...
Mais bon, vu la qualité de l'ensemble, je serais bien bête de me plaindre d'un si petit detail : ce livre reste de toutes façons une vraie merveille !
Bon, je parle, je parle, mais si je continue ainsi je ne vais jamais pouvoir m'arreter lol donc pour résumer, je suis tombé amoureux du
Fléau pour à peu près toutes les raisons mentionnées plus haut et ce dernier est instantanément rentré dans mon top5 (juste à coté de
Désolation, tiens!).
Désolé si le pavé est un peu gros, mais il fait partie de ces romans sur lesquels il y a tellement de choses, de sujets et de thématiques à aborder qu'on pourrait y passer des heures.
Bon voilà, c'est fait !
Si vous voulez réagir ou ajouter qqchose...
et une ptite dernière pour terminer en beauté !