Copié/collé du pavé que je viens de pondre sur le fo' SK, pas le courage de synthétiser pour en faire un nouveau lol :
Bon ça y est, je l'ai lu !
Il y a tellement de choses à dire, par où commencer ?
Déjà, première constation : c'est un sacré pavé ! Moi qui m'attendait à bouquin pas si épais et relativement mineur dans la biblio de SK, eh ben non, c'est tout le contraire !
Je pense même, en y réflechissant un peu, que Le Talisman peut être considéré comme un roman essentiel dans la carrière de (des) l'auteur(s). En effet, car si l'on se replace dans le contexte de l'époque, on ne peut s'empêcher de faire des recoupements avec d'autres de ses romans ; certains devenus des références et écrits durant la même période. Jusque-là, Stephen King était surtout considéré comme un auteur d'horreur à succès, ayant vendu quelques best-sellers depuis la fin des années 70, mais sans vraiment chercher plus loin. Y'avait bien eu un petit Les Yeux du Dragon par-ci ou un Différentes Saisons par là pour prouver que l'écrivain avait d'autres cordes à son arc, mais cette réputation d'auteur fantastique/horreur lui collait quand même à la peau...
Seulement voilà, au début des années 80 - outre la sortie en volume unique du Pistoléro -, SK est pris d'une espèce de boulimie créative et se lance dans l'écriture de deux énooormes pavés : Ca (écrit entre 1981 et 1986) et Les Tommyknockers (rédigé entre 1982 et 1987), celui-ci sortant la même année que Les Trois Cartes, 2e volet des aventures de la Tour Sombre. Chacun de ses trois romans explorant de nouveaux territoires et en rapport plus ou moins étroit avec Le Talisman ou l'univers de la Tour Sombre.
Ca, magnifique fresque horrifique sur la perte des illusions mais aussi sur la magie de l'enfance, possède en commun plusieurs idées et concepts avec les Trois Cartes. Les Tommyknockers, roman de SF jubilatoire, y va de son petit cross-over avec Le Talisman, mais on peut y noter également des clins d'oeil à Ca (qui sera par ailleurs l'un des grands classiques de SK, il est bon de le rappeler). Quant au Talisman, il jette des ponts avec l'univers de la Tour Sombre et partage même des lieux en commun avec celui-ci.
Cette effervescence créative marquera je pense une étape importante dans la carrière de SK, qui sera dès lors considéré comme un grand écrivain, de moins en moins connoté horreur ou fantastique. C'est dû en grande partie au Talisman, publié en 1984 (en plein pendant cette période-charnière) fruit de la collaboration avec Peter Straub, et qui sera l'occasion pour les deux auteurs de s'essayer à une nouvelle approche. Ici, nous sommes en plein territoire fantasy, lorgnant aussi bien vers la SF pure (le trip des mondes parallèles) ou le thriller, dans le découpage de l'action et le coté haletant (me laissant à penser que P. Straub n'y est pas pour rien).
Mais genres ou étiquettes mis à part, Le Talisman c'est surtout un grand récit de quête initiatique, avec tous ses codes et ses passages obligés. Dans la première partie des années 80, ce roman profite de cette effervescence dont je parlais plus haut, mais l'inverse n'est-il pas vrai non plus ? L'oeuf ou la poule mutante à deux têtes ? Le Talisman est-il une des conséquences de ce "souffle nouveau" (en grande partie en rapport avec la construction du mythe de la Tour Sombre) ou a-t-il lui-même inspiré ces romans, ces nouvelles directions ?
En voilà des questions intéressantes et qui rendent l'ensemble aussi fascinant
Mais trève des digressions et revenons-en au sujet !
Le Talisman est donc un récit de quête initiatique, c'est l'Aventure avec un A majuscule et si celui-ci mélange les styles ou les approches, ce n'est que pour mieux s'approprier le sujet en revisitant certaines de ses conventions. Mais n'en doutons pas, nous retrouvons ici tous les élements habituels des grandes épopées : le garçon seul, courageux et déterminé, qui devra sauver sa mère en retrouvant un talisman magique à l'autre bout du monde (ou du continent, ce qui est déjà pas mal pour un gamin de 12 ans lol), le "vieux sage" qui aidera le héros en début et en fin d'aventure, les rencontres insolites et dépaysantes, les épreuves, etc...
On est souvent pas loin du cliché, mais je pense que c'est voulu par les deux auteurs, qui se font ici plaisir avec les codes pour mieux les transcender. Je dois dire que si j'ai été un peu dubitatif au début, je me suis (très) vite laissé embarquer pour mettre de coté mes à-prioris.
Ce qui m'amène à un autre grand point : les personnages.
En effet, ils sont tous profondément ancrés dans cette logique de quête ou de légendes et leur coté stéréotypé (le "sage", le fidèle compagnon, le méchant cruel et prêt à tout) est paradoxalement leur force. Tant qu'à écrire une grande aventure épique et héroïque, autant jouer la carte à fond et ne pas faire les choses à moitié. Et je trouve que Straub et King ont réussi, en inscrivant leurs personnages dans cette logique et en balisant le récit d'autant de repères "familiers" à transcender le matériau d'origine, pour l'emmener dans des contrées beaucoup moins familières (la terreur, le fantastique, le surnaturel).
C'est justement ce mélange des genres, ce respect des codes en même temps que le coté novateur apporté par l'univers propre des deux auteurs qui donne - entre autres - tout son sel aux aventures de Jack Sawyer
Mon perso préféré ? Je dirais plutôt le duo Jack/Wolf, qui devient rapidement indispensable et très attachant à la fois ; mais dans un autre registre, j'ai également adoré Gardener
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ainsi que son double complètement taré, Osmond
, flippant à souhait !
Au passage, tant qu'à rester dans les personnages, il y a un autre aspect que j'ai beaucoup apprecié et qui démontre bien le soin apporté par King/Straub au roman : le nom des persos et leur signification.
Pour Jack Sawyer, on aura forcément repéré l'hommage à Mark Twain et son Tom Sawyer - cité d'ailleurs au tout début -, qui est une personnification évidente de l'aventure, de l'Amérique profonde et des valeurs de l'enfance.
Mais il y a aussi le "nom de voyage" de Jack
- Spoiler:
Lewis Farren, dont le prénom est celui d'un de ses amis de classe, le nom emprunté au chef des Gardes Extérieurs, le Capitaine Farren. Si on va à la racine du mot, en anglais ça donne rien, mais en allemand
fahren = voyager
Pour Morgan Sloat, j'ai peut-être les idées mal placées, mais à la première lecture de son nom, j'ai tout de suite pensé au mot
slut ("salope", en ricain)
en tous cas, phonétiquement, les deux sont assez proches. Morgan, ça me fait penser à toute cette tradition de méchants ou de méchantes aux consonnances européennes... La Fée Morgane, par exemple ?
Gardener, le jardinier, analogie évidente au mythe biblique (appuyé encore par son pseudo-prénom "Sunlight"=rayon de soleil), mais qui pourrait également être un clin d'oeil aux Tommyknockers : avouez que la coïncidence est trop belle
Quoi d'autre ? Wolf ? bon là, rien de spécial, ça coule de source.
Mais y'en a un autre qui m'a fait tiquer : Reuel Gardener, fils de son ignoble chtarbé de père. Un prénom loin d'être courant et qui selon moi serait un hommage à Tolkien (John Ronald
Reuel Tolkien), dont le Seigneur des Anneaux est d'ailleurs cité au détour d'un paragraphe. Là aussi, je pense qu'on est loin de la coïncidence fortuite...
Sinon, là ce n'est pas au niveau des persos, mais on nous parle un moment des Tours Rainbirds à Angola, où Jack atterrit à un moment de l'histoire. Rainbirds, John Rainbird ?
Encore un petit clin d'oeil de SK à lui-même ?
Bref, beaucoup de petites choses qui prouvent néanmoins le soin et la reflexion apportés par les auteurs au Talisman, pour en faire un récit cohérent, riche et structuré, rendant hommage aux grands classiques tout en s'inscrivant dans son époque.
C'est aussi l'une des nombreuses choses que j'ai adoré dans Le Talisman : ce coté années 80 un peu suranné, avec ce langage, ces couleurs, ce parfum particulier mélangé à ce sens particulier de l'aventure et du fantastique, comme on pouvait le voir dans les films de l'époque. Un peu de Goonies par-ci pour le trip "jeunes aventuriers dans un contexte moderne", un peu de Gremlins par-là pour le coté horreur-cartoon, une pincée d'E.T. pour la SF, L'Histoire Sans Fin pour l'aspect fantasy et légende (dont les héros sont également des pré-adolescents).
On retrouve tous ces éléments-là dans Le Talisman et je trouve que ce roman possède tout le charme de cette époque, avec sa petite touche perso à lui.
Gloire soit rendue également aux auteurs, pour avoir su créer une histoire aussi visuelle et cinématographique, qui permettait réellement de voir le "film" se dérouler sous mes yeux, avec toute cette magie de l'enfance retrouvée. Le genre d'histoire fédératrice et ancrée aussi bien dans son temps qu'intemporelle, s'inspirant des classiques tout en le devenant elle-même. Je pense sincèrement que si j'avais découvert ce livre au même age que Bilbo Le Hobbit (que j'ai dû lire entre 9 et 12 ans), celui-ci aurait marqué de façon aussi absolue et définitive mon parcours de lecteur.
Et la comparaison est voulue, car on y retrouve les mêmes éléments que dans la référence de Tolkien : l'aventure, les épreuves, la grande quête entreprise par un jeune héros (malgré son âge de 33 ans dans le livre, Bilbo est un gamin tout comme l'est Jack dans le Talisman), les artefacts magiques, les alliés de fortune ou de passage, les lieux féeriques (ou maléfiques) traversés, etc.
Faut pas chercher plus loin, tout y est !
Sauf que, comme je le soulignais plus haut, Le Talisman est ancré à la fois dans son époque ET dans la grande tradition des légendes. Je dirais que c'est là l'une de ses nombreuses qualités
J'y ai retrouvé un peu de la Tour Sombre dans ce coté magique, envoutant et terrifiant à la fois, tout comme certains aspects de Ca, avec le thèmes des peurs infantiles et du passage à l'adolescence par la force des évènements (thématique qu'on retrouve aussi dans Le Corps, de façon encore plus parlante).
Pour cela, Le Talisman est à la croisée des genres aussi bien que des thèmes de prédilection de S. King - voire plus haut pour le lien entre les différentes oeuvres de cette période.
Au niveau du style, je l'ai déjà dit, c'est pour moi du SK pur jus (même si le découpage de l'action façon thriller peut être du fait de P. Straub), et c'est du SK qui accroche de suite, sans effort particulier. Du SK des grands jours qui m'a également rappelé le meilleur des années 80, sans trop s'appesantir sur la psychologie des personnages ou les descriptions inutiles, comme c'est parfois le cas avec lui. Ici, tout est clair et limpide et on suit les pas de Jack comme s'il nous avait embarqué dans sa besace, avec ce souffle exaltant qui donne envie d'avancer avec lui sur la route, toujours plus loin, toujours plus vite.
De ce coté-là rien à dire ; j'ai vraiment été pris dès le début ! (malgré le coté un peu trop "facile" et balisé de l'intrigue, dès la rencontre de Jack et Speedy, à Arcadia Beach).
Bon, je parle, je parle, et j'ai l'impression d'être parti encore pour un de mes pavés takiens sans pouvoir m'arrêter
lol ça prouve juste à quel point j'ai kiffé cette lecture !
Je ne rentrerais pas dans les détails de l'intrigue pour dire quel passage j'ai préféré ou detesté, j'ai quasiment tout adoré de bout en bout, avec une mention particulière
- Spoiler:
pour toute la partie avec Wolf, passionnante, haletante à souhait, la partie cauchemaresque à Thayer et pis aussi la traversée des Terres Devastées, cross-over juste jouissif avec la TS... ah et puis toute la dernière partie dans l'Azincourt, qui m'a littéralement scotché !
Ajoutons à cela des tas d'excellentes idées
- Spoiler:
Les Territoires et leur correspondance/influence sur la Terre, les doubles, les objets se transformant en passant d'un monde à l'autre
, qui rehaussent le niveau d"une intrigue déjà excellente en soi et hyper prenante. Des images, des sons, des lieux visités qui donnent une réelle impression de voyage en lisant ce roman. Juste pour ça, c'est un book que je lirais et relirais avec grand plaisir !
Sinon, j'ai vu, en lisant les autres commentaires, que certains avaient été frustrés/déçus
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qu'on ne passe pas plus de temps dans Les Territoires. Pour ma part, j'ai trouvé que l'équilibre était parfait et que c'est justement le fait de passer d'un monde à l'autre à chaque fois qui donnait tout son rythme et sa nervosité - son coté dépaysant aussi - à l'histoire. On est constamment sur la corde raide et Jack doit dans la plupart des cas "décoller" pour se sauver in extremis d'une situation critique...
Je dois dire que j'ai retenu mon souffle plus d'une fois !
Quant au coté du héros jugé "trop adulte" pour certains, je trouve que les épreuves endurées par Jack justifient tout à fait cette vision des choses... que n'aurait pas, forcément, un enfant du même age "normal". Mais Jack n'est pas un enfant normal et tous ces évènements l'ont fait grandir et mûrir plus vite qu'il ne l'aurait dû, ce qui montre bien le caractère exceptionnel et extraordinaire de cette folle quête.
Bref, moi je n'ai eu aucun soucis de ce coté-là
DONC, POUR RESUMER ! (après 10 pages de blabla lol) Je dirais que le Talisman est un roman marquant à plus d'un titre, un roman-clé dans l'oeuvre de King et sûrement l'un de ses plus réussis, dans son incroyable mix de fantasy, de SF, d'angoisse et de merveilleux ; nous faisant retrouver nos âmes de gosses.
Du moins, en ce qui me concerne ça a été le cas !
Grosse frustration quand j'ai dû tourner et lire la dernière page, mais enchanté du voyage fait en compagnie de Jack, Wolf et Richard. Allez, je me laisse quelques mois pour attaquer la suite... quand la magie aura peu à peu commencé à se dissiper
(même si je sais d'avance que les T1 et T2 n'ont absolument rien à voir au niveau du genre).
Et un Grand classique kingiens, un !!