L'auteur :
Leinster Murray : tout ce que je sais de lui, c'est qu'il est né en 1896 et mort en 1975, que c'était un scientifique, un auteur prolifique en son temps, et, avis personnel : une personne vraiment sympathique et cultivée.
L'intrigue : dans un avenir lointain, l'homme a conquis les étoiles, colonisé la galaxie, mais partout il n'a trouvé que déserts. Les premiers pionniers tombent par hasard sur une planète semblable à la terre, mais stérile. Ils commettent alors une erreur aux conséquences fatales : ils l'ensemencent d'espèces d'origine terrestre. Ils n'ont pas compté sur les différences : la planète a un climat tropical humide toute l'année, et le ciel est perpétuiellement couvert de nuages bas, on ne voit jamais le soleil.
L'évolution suit son cours, catastrophiquement : faute de photosynthèse, pas de chlorophylle, donc pas de végétaux verts, seulement des champignons, des lichens, des levures, des moisissures, de taille monstrueuse. Et naturellement, les insectes sont atteints de gigantisme, comme ils l'étaient il y a des centaines de millions d'années sur la terre.
Les millénaires passent : une fiche égarée fait qu'on oublie cette planète (c'est là le seul défaut minime du roman : Leinster pensait qu'en l'an 20 000 ou plus, on se servirait encore de fiches papier
. Bref, quand un astronef fait naufrage sur la planète, personne ne va au secours des humains. Ceux ci se retrouvent dans un monde de cauchemar, remarquablement bien décrit : tout y est, l'atmosphère de pourriture, les odeurs, les bruits, la pénombre. Et surtout, la terreur panique.
40 générations ont passé : la seule préocuppation des humains est : survivre à l'horreur, fuir les insectes monstrueux, et trouver à manger. La civilisation a regressé plus bas que la préhistoire, le langage est rudimentaire, la réflexion abstraite absente.
Jusqu'au jour où un tout jeune homme décide de faire face et de combattre les insectes, au lieu de fuir. Paré de superbes ailes de phalène géant, il va devenir, non sans peine, le leader de son misérable clan.
Mon avis :à première vue, et si on se fie à la couverture, on peut s'attendre à une banale histoire d'humains contre insectes géants, et comme le roman date de 1954, on va se dire, il est démodé.
Sauf que : Leinster connaît son sujet à fond. Fait unique dans un roman de SF (à ma connaissance), il comporte une bibliographie, Leinster a étudié les ouvrages de Henri Fabre et Maurice Maeterlinck sur les insectes et araignées, et s'en sert pour construire une intrigue solide, vraisemblable, qui n'a pas vieilli.
Le monde de cauchemar de cette planète sans nom hantera le lecteur à jamais. Pour peu qu'on soit (c'est mon cas) phobique des insectes et surtout des araignées, on se préparera des cauchemars de qualité
Tout est scientifiquement vraisemblable, cohérent, sérieux : ce qui ne rime pas avec ennuyeux. Bien au contraire, l'intrigue est haletante. Un livre court, à lire un week end, dépaysement garanti, et optimisme à la clé : on était dans les années 50, on croyait encore aux "lendemains qui chantent" , en la possibilité d'intelligence, de progrès, d'amélioration de la race humaine; et ayant fait une incursion dans cet univers d'horreur, on se dit : qu'est ce qu'on est bien sur la Terre !
Je ne mets aucun bémol : le héros est bien entendu, héroïque, mais il a de nombreux défauts, dont aucun n'est caché ; l'histoire d'amour, discrète et pudique, comme il se devait à cette époque. En fait, toiut cela n'est qu'un mince prétexte : comme le dit Leinster dans sa préface, les vrais héros sont les insecters.
Un passage que moi, j'ai trouvé particulièrement émouvant : à la fin,
- Spoiler:
le héros a amené sa petite troupe au sommet d'une montagne où l'air est pur, l'herbe et les arbres normaux, verts, les odeurs de rosée et de résine, les insectes inoffensifs et tout petits, et le clan rencontre là haut des chiens, également rescapés des arrière-arrière-arrière......."grand parents" du naufrage : l'amitié entre les humains et les chiens est décrite avec un amour et un respect mutuel, qui mettent presque des larmes d'émotion aux yeux des lecteurs sensibles : on s'aperçoit à quel point les chiens sont nos amis, presque nos parents, après la cruauté démente et sans conscience des insectes.