Don Wanderley, auteur d'un livre et en préparant un autre, a kidnappé une petite fille orpheline dont il espère une rançon de la part de ses parents.
Elle s'appelle Angie Maule, Angie Mitchell ou Angie Mimossi, ou bien est-elle lui même ? Il vient de Millburn.
Millburn est une ville de l'État de New York, où se tient la Chowder Society, groupe de 4 hommes de 70 ans qui tiennent des réunions régulières.
Sears James, Ricky Hawthorne, Lewis Benedikt et John Jaffrey se retrouvent toutes les semaines depuis plus de 30 ans pour se raconter des histoires qui font peur.
Edward Wanderley faisait partie de ce groupe d'amis.
Il a été tué un an plus tôt dans des circonstances mystérieuses qui les obsèdent et leur provoque des cauchemars et des visions.
Ils sont unis depuis 50 ans et une "rencontre" avec une jeune actrice Eva Galli en 1929, juste après le krach boursier. Ces deux évènements semblent liés.
Ils décident d'inviter Don Wanderley, le fils du défunt à une de leurs réunions. Au même moment Anna Mostyn, la nièce d'Eva Galli, débarque en ville. Dans une ferme voisine, 4 moutons ont été égorgés...
Un roman à la mécanique parfaite, d'une densité incroyable que rien n'est laissé au hasard puisque chaque détail compte. Ce pavé est d'une richesse extraordinaire avec une intrigue très complexe.
Le roman est découpé en 3 parties : les deux premières pourraient être indépendantes et pourraient se lire l'une sans l'autre, chose dont je vous déconseille de faire,
car les quelques éléments en question les relient. Et la troisième partie résout enfin le puzzle.
Peter Straub raconte en flash-back l'histoire de Don Wanderley et de son frère David, celle d'Eva Galli, la mort d'Edward Wanderley.
Tous les personnages principaux sont obsédés par une mort violente, subite dans leur entourage quelques années auparavant. Ces éléments sont évidemment liés et vont se recouper dans la dernière partie.
La première partie, celle de la Chowder Society, est pour moi la plus marquante, la mieux racontée. Elle est à la fois nostalgique et parfaite avec la mise en haleine pour la suite du roman.
C'est un livre dans le livre, il en a d'ailleurs fait une nouvelle dans un recueil collectif où figurait entre autres son ami et complice : Stephen King.
Dans la deuxième partie, tout s'accélère. Don Wanderley arrive à Millburn et essaie de comprendre les enjeux de la situation qui devient cauchemardesque.
Le passage où Lewis Benedict a des hallucinations est absolument magnifique, très mystérieux et ouvre à diverses interprétations.
C'est une des séquences les plus importantes du livre, car elle marque le début du dénouement et donc de la 3ème partie . Toutes les pièces du puzzle se mettent en place.
Il y a une quinzaine de personnages importants. Tous les chapitres sont racontés à la troisième personne et ont pour principal protagoniste, tour à tour,
les 4 septuagénaires de la Chowder Society, Don wanderley l'écrivain trentenaire, Freddy Robinson jeune agent d'assurance qui va enquêter sur les morts des animaux,
Peter Barnes adolescent qui va subir et lutter contre le danger, Stella Hawthorne femme de Ricky, Elmer Scales le fermier qui a découvert ses bêtes égorgées et qui va peu à peu,
perdre la raison et tomber dans une folie destructrice. Tous ces personnages aussi différents les uns que les autres, sont définis avec précision et clarté, ce qui les rend très denses.
Certains évènements sont racontés du point de vue de plusieurs personnages, ce qui est très intéressant pour marquer la différence entre ce qui est réellement et ce que l'on perçoit.
Cet ouvrage me fait parfois penser à "Salem" ou "Bazaar" du Maître Stephen King, pour sa façon de décrire une ville tranquille (en apparence), avec tous ses petits secrets datant de quelques générations,
ses histoires de "cocufiage", ses vieilles rivalités, et qui va se retrouver isolée du monde.
La cité est tellement omniprésente dans le récit, qu'elle en devient un protagoniste, un rouage. Il y a matière à faire une dizaine de livres tant les sous intrigues sont nombreuses et les personnages bien écrits et décrits.
Tous ont peur, mais réagissent de manière différentes. Certains trop courageux ou inconscients, vont affronter seul le danger, l'inconnu. D'autres plus intelligemment s'unissent,
fuient, ou s'arrêtent de vivre et ne repensent plus qu'à ce qu'ils ont vu ou cru voir.
Les scènes d'horreur sont écrites avec concision, nous épargnant des détails macabres et gores mais allant à l'essentiel de suite pour laisser notre imaginaire faire son travail.
C'est d'ailleurs le thème principal du bouquin : l'imagination. Peter Straub joue avec celles des lecteurs comme l'antagoniste joue avec celle des victimes.
L'auteur distille la peur au compte goutte durant tout le roman comme le méchant le fait durant toute la vie des protagonistes.
Tout le livre est construit sur notre imaginaire et démonte ainsi le mécanisme de la peur produit par les lectures des classiques de l'épouvante ou la vision de films.
Une séquence clé se déroule d'ailleurs dans un cinéma pendant la projection de "La nuit des mort-vivants", rendant ainsi un très bel hommage à George A. Romero.
Il boucle du même coup, la boucle des figures légendaires de l'horreur et du fantastiques : mort-vivants, fantômes, vampires, loups garous, réincarnations, résurrections,
hallucinations, prémonitions, manitous auxquels il faut ajouter, la connerie humaine personnifiée par Jim Hardie, un ado un peu trop prétentieux et curieux et qui va déclencher pas mal de problèmes.
Une oeuvre terrifiante, un livre-clé totalement efficace pour tout amateur de romans d'horreur et d'épouvante. Un monument de la littérature Straubienne.
Un grand classique de la fin des années 70 que je vous recommande très fortement.