Synopsis :En arrivant à Shadowland, le Royaume des Ombres, pour être initiés à la magie, Tom et Del pensaient apprendre quelques tours de cartes ou le numéro du lapin ou de la colombe. Mais Collins, le Magicien, a d'autres desseins : Tom est doté de pouvoirs exceptionnels et c'est lui qui sera son successeur, le nouveau Roi des Ombres. Tom se sent soudain envahi d'une terreur irraisonnée lorsque ses visions hideuses de bébés embrochés sur des piques ou de garçons crucifiés se révèlent plus que de simples hallucinations. Et si Collins n'était pas le brave homme qu'il prétend ? Si, pour être magicien, il fallait exploiter ses fantasmes les plus profonds, apprendre la haine ?Avis personnel :Encore un Straub ! Et encore kiffé !
Par contre, rien à voir avec mon précédent roman de l'auteur, Le Dragon Flottant. Là où ce dernier se montrait efficace et prenant, étonnement abordable, Shadowland est un roman tout en faux rythme et en atmosphère, plutôt lent au démarrage. L'ambiance y est plus onirique qu'horrifique, mais dans le fond et les thématiques abordées, on reconnait bien son auteur.
Bien que le thème de la magie n'ait rien de très original en littérature fantastique, j'ai beaucoup apprécié la façon dont il est ici abordé : non pas comme simple artifice narratif ou pour quelconque quota spectaculaire, mais comme un réel moteur de l'intrigue et des personnages. Source de savoir confinant au Divin pour certains, pouvoir servant à écraser et à soumettre pour les autres, chacun y trouve sa propre motivation, mais au final c'est par et pour la magie qu'existent tous ces personnages. Qu'ils vivent, meurent, se querellent et se déchirent...
D'ailleurs, juste au passage : sur un thème un peu similaire, j'ai pas mal pensé à The Damnation Game de Clive Barker (ou encore mieux, son film Le Maître des Illusions), même si l'oeuvre de P. Straub est sortie quelques années auparavant. Même mise en scène dans l'irruption du surnaturel, même thématique autour de l'illusion et de ses artifices (ou celles de la réalité). Comme chez SK, où j'ai retrouvé pas mal de thématiques Straubiennes, il semblerait que ses romans aient influencé plus de monde qu'on pourrait ne le penser de prime abord.
Pour revenir au roman, il y a aussi Shadowland et ses environs, véritable personnage à part entière et par qui arrive le mystère aussi bien que l'effroi. On sentirait presque respirer la bâtisse et laisser planer son ombre mortifère sur le destin des deux adolescents. Une sombre féerie s'échappe de ces décors et de ce coté-là, j'ai vraiment été transporté. Au final, cadre, écriture soignée et personnages ambivalents : tout cela concorde pour donner au roman une réelle atmosphère, onirique, irréelle et oppressante à souhait.
Un autre point aussi que j'ai adoré, c'est le recours régulier de l'écrivain aux contes à leurs codes. Non seulement l'imagerie du conte cadre parfaitement dans un récit initiatique sur la magie, mais elle lui donne également un poids supplémentaire par sa force allégorique. C'est ainsi par images et associations que marche l'intrigue, par jeux de miroirs - comme souvent chez Straub - et renvois à d'autres situations, d'autres histoires qu'avance ce récit. L'histoire de deux adolescents perdus dans une autre histoire, dont les mécanismes ont été analysés et décortiqués plus tôt dans l'année, en cours de littérature.
Ce sera aussi l'occasion pour l'auteur d'y glisser quelques digressions et même
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l'apparition des frères Grimm en personne ! Joli clin d’œil pour un roman se jouant des conventions et des réalités.
Bref, que du plaisir !
Seul petit bémol : qu'on en sache pas un peu plus sur le parcours de Tom Flanagan après son été à Shadowland et deux-trois points du scénario que j'aurais pas rechigné à voir plus développés
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comme tout ce qui a attrait au coté occulte de celui-ci, le Roi des Ombres et tout ça...
Ceci dit, j'aurais peut-être pris plus de plaisir à lire le roman d'une traite, en quelques jours, comme je l'avais fait pour Le Dragon Flottant. La prose de Straub et la construction de ses histoires peuvent se révéler confuses si on est pas dans l'état d'esprit adéquat ou que le sommeil vient nous embrouiller les idées lol J'ai parfois eu du mal à reprendre le livre et à me rappeler ce qui s'était déroulé d'un chapitre à l'autre - mais c'est aussi, je pense, un effet voulu par l'auteur, qui cherche à plonger le lecteur dans le même état de confusion et de perte de repères que ses personnages. Le temps, le pourquoi, le où et le quand deviennent à leur tour des illusions et il faut plonger dans l'intrigue sans chercher de réponses toutes faites. Il n'y en a pas vraiment, mais en revanche on est souvent bluffés et transportés, dans ce monde de la magie, de l'ombre et de la haine, intemporel, flippant et néanmoins séduisant à sa façon.
Bref, j'ai encore une fois pris beaucoup de plaisir à lire, même si ma lecture a été très morcelée et chaotique. Du très bon Peter Straub, qui devient l'air de rien l'un de mes écrivains favoris du genre, aux cotés de S. King et C. Barker. Well done !