Synopsis :"L'auteur Timothy Underhill travaille à l'écriture de son nouveau roman. Il tente d'oublier les démons personnels qui l'assaillent. En particulier, le fantôme de sa petite soeur April le hante.
Quant à Willy Patrick, auteur renommé de livres pour enfants, dont le célèbre Cabinet noir, elle vit dans le plus parfait égarement. Elle est irrésistiblement attirée sur le parking d'un immeuble où elle croit que sa fille est retenue de force. Or sa fille est morte... Aussi, quand Willy et Tim se rencontrent, une évidence s'impose : ils doivent unir leurs forces pour combattre les démons qui les habitent.
Dans une fascinante réflexion sur les pouvoirs de l'imagination, Peter Straub prouve encore une fois qu'il est le maître incontesté du polar fantastique.
Né en 1943 dans le Wisconsin, Peter Straub est l'un des pères fondateurs du roman de terreur moderne. Ses ouvrages ont été traduits dans plus de vingt langues. Il vit à New York."Avis personnel :Avant toute chose, j'ai tenu à couper certains passages du 4e de couv', qui spoile méchamment une bonne partie de l'intrigue. Comment peut-on vendre un roman à twist (même si celui-ci survient à mi-parcours de l'histoire) en le gâchant totalement de la sorte ?
Bref !
Allez, maintenant, rentrons dans le vif du sujet. Ben pour changer (avec cet auteur), j'ai beaucoup aimé lol
Mais une petite pointe de déception ceci dit, pour deux choses :
-Roman trop court (à peine plus de 300 pages, là où les autres étaient presque deux fois plus épais).
-Et une intrigue qui commence à devenir un poil trop "linéaire" dans sa 2e partie, là où la première laissait imaginer un truc de fous, avec tous les éléments straubiens habituels... avant de retomber dans un schéma plus classique, style road-trip (pas inintéressant ceci dit), mais à des lieues de ce que l'auteur avait l'habitude de nous balancer dans ses romans précédents.
Mais pour bien cerner les qualités et défauts, je vais essayer d'approfondir un peu.
Au départ, Le Cabinet Noir, ça commence comme une histoire classique, avec d'un coté un romancier pas très inspiré par ses dernières tentatives et une demoiselle hantée par des cauchemars qui semblent l'amener toujours au même endroit. Au moment où on commence à en savoir plus sur cette femme, Willy, et que le mystère se fait de plus en plus épais autour d'elle, l'auteur passe la seconde et pose le décor fantastique de son histoire. A partir de là, Straub met les bouchées doubles, en faisant avancer chacune des intrigues, tout en épaississant le(s) mystère(s) et en coupant la narration d'extraits de journal intime, d'e-mails, qui tout en faisant changer les points de vue, réussit à toujours rester centré sur le cœur de l'histoire.
C'est dans ces moments-là que l'on sent l'auteur en pleine possession de ses moyens et que le roman se fait clairement le plus passionnant. Tout en gardant la construction typique de ses histoires en forme de puzzle (toujours avec ce petit parfum de polar), l'auteur fait monter la pression progressivement, avec ce climat fantastique oppressant où l'on se demande à chaque page si tout ça va pas nous péter à la gueule - exercice dans lequel Peter Straub excelle toujours autant. C'est aussi durant cette lente montée en puissance qu'intervient l'un des passages les plus intéressants du roman, avec les messages de Cyrax :
- Spoiler:
un émissaire de l'au-delà - ou plutôt "des dimensions", comme il l'appelle. Ici, durant un monologue un peu dingue et complètement flippant à la fois, le dénommé Cyrax nous renseigne sur la mythologie étrange de ces dimensions de l'au-délà, leurs particularités, les êtres qui les habitent et le rapport que lie tout ça à l'écrivain Tim Underhill. Et si ce passage ne dure que quelques pages, celles-ci relèvent du génie pur, tant il y a d'idées et de concepts fous condensés en peu de mots. De plus, Cyrax, être habitant ces étranges limbes et vieux de quelques centaines (ou milliers) d'années, s'exprime d'une façon complètement fantaisiste et décalée, utilisant le langage chat/sms, tout en se foutant de la gueule du romancier entre deux imprécations glaçantes. C'est vraiment du grand art de réussir à rendre ceci réaliste et terrifiant - en nous faisant vraiment ressentir l'immensité des dimensions et notre insignifiance face à elles - tout en ancrant ces révélations dans notre réalité et mieux encore, dans la réalité du roman et de la vie de Tim Underhill.
Ce qui aurait pu être ridicule nous colle des frissons et on en redemande !
Malheureusement, ce passage est plutôt court et Cyrax, malgré ce qu'il représente à lui seul, ne prend une place que minime dans le roman. Dommage, car l'auteur tenait là une idée de génie et qui aurait pu élever l'histoire à un tout autre niveau...
Mais ce court interlude prépare aussi le terrain à un passage charnière où (presque) toutes les pièces du puzzle se mettent en place et qu'on assiste alors à un "retournement de situation", si l'on veut, assez jouissif - bien que prévisible si on a lu la 4e de couv' spoilant l'intrigue comme une grosse catin lol
C'est là qu'on entre de plein pied dans la mécanique de mise en abîme assez particulière du roman, racontant finalement une histoire dans l'histoire de l'histoire. Et évidemment, sans en dire trop, le fameux cabinet noir y occupe une place importante. Du début jusqu'à ce passage-clé - intervenant environ à la moitié du roman - c'est du pur régal 100% Straub qui nous fait dire "encore, encore!" ; malheureusement la suite est moins folichonne. En effet, à partir de là et comme je le disais plus haut, on entre dans une espèce de road-movie où les personnages fuient une menace, tout en se dirigeant vers leur destination finale et là, franchement... c'est beaucoup plus anecdotique. Voire banal.
Le rythme retombe, la partie fantastique se met doucement en retrait et on se demande alors où l'auteur veut en venir. Surtout que le traitement du personnage de Willy se fait un peu par-dessus la jambe, alors qu'elle est censée être l'élément moteur de cette seconde partie.
- Spoiler:
"Oh tiens, je suis un personnage de fiction, je disparais peu à peu du monde... engueulons donc le créateur entre deux parties de jambes en l'air, ça fera passer le temps en attendant que ne sois plus !" On a l'impression de regarder un road-movie peu inspiré avec un couple en cavale avec quelques dialogues parfois un peu bizarres, mais d'où le climat fantastique oppressant de la 1e partie semble quasi-absent...
C'est d'autant plus dommage que la 1e partie faisait doucement monter la pression et qu'on s'attendait à un truc de malade pour la suite.
Du coup, l'intérêt retombe d'un coup et on se surprend à vouloir sauter les pages jusqu'au dernier acte, où on est censés enfin découvrir le fin mot sur ce fameux cabinet noir.
Heureusement, la dernière partie renoue avec le mystère et le climat angoissant du début, avec - logiquement - toutes les révélations que l'on est en droit d'attendre sur le cabinet noir et son lien avec les personnages. Straub boucle alors la boucle, quoique un peu en mode pilotage automatique pour qui a lu d'autres de ses romans (je trouvais par exemple les derniers actes de Ghost Story ou Le Dragon Flottant beaucoup plus inspirés). Mais le climax attendu est tout de même là et les derniers paragraphes, revenant fugitivement sur les délires de Cyrax, sont glaçants à souhait
On finit donc le livre sur une très bonne note, mais qui ne fait pas oublier le gros ventre mou du milieu.
C'est d'autant plus regrettable que le roman est assez court et que l'on aurait voulu que sur 300 pages, l'intégralité soit du même niveau. C'est donc une demi-déception de ce coté-là... mais pour toutes les idées furieusement bonnes disséminées ci et là et la qualité toujours rigoureuse de la plume de l'auteur, Le Cabinet Noir reste un bon roman à lire entre deux choses plus consistantes.
A lire donc si on aime l'auteur, mais pas indispensable non plus.
Et au passage, je n'ai pas lu celui-ci, mais ce livre est la suite de Les Enfants Perdus, dont le héros était là aussi Tim Underhill. Je pense que ce sera sûrement mon prochain Straub